La lune, ronde et lumineuse, veillait dans le ciel d'été. Elle était particulièrement vigilante sur ce qui se passait dans les jardins où, souvent, les fleurs devenaient folles.
Il y avait une petite nouvelle qu'elle surveillait d'un peu plus près que les autres, car elle portait un nom qui suscitait l'effroi : Crocosmia Lucifer.
Cette fleur était diaboliquement belle et éclatante,
Mais aussi, semblait très arrogante et orgueilleuse. Est-ce parce que le douanier Rousseau lui avait fait l'honneur de la peindre dans un de ses tableaux ?
Elle dominait toutes les autres fleurs qui se faisaient humbles auprès d'elle.
Les géranium Roséane, pourtant si beaux, baissaient la tête comme honteux de vouloir se mesurer à la fleur endiablée.
Même celles qui, habituellement, se prenaient pour les filles du roi soleil se faisaient modestes dans leur coin.
Impressionnées, les fleurs de millepertuis essayaient de se cacher, oubliant qu'elles étaient un peu sorcières et savaient effacer chez les humains, les méfaits des idées noires.
C'est alors que le fuchsia se mit à agiter ses clochettes, sortant, pour une fois, du chagrin qui l'accable depuis si longtemps.
* Ecoutez mon histoire, dit-il, elle est bien plus intéressante et mérite mieux l'admiration que cette plante luciférienne qui n'a jamais rien fait de remarquable.
A ces mots, toutes les fleurs se figèrent, même les bavardes marguerites qui cessèrent de se disputer pour écouter.
Et le fuchsia raconta :
* Dans les temps très anciens, j'étais une plante sans fleur, mais je dégageais une odeur exquise que toutes les autres plantes m'enviaient, même les roses. Seulement, j'étais jalouse....que m'importait l'odeur alors que j'enviais les couleurs. Pour avoir une fleur colorée, j'aurais fait n'importe quoi.......et je l'ai fait, pour mon éternel malheur : Le jour de la crucifixion....j'ai bu deux gouttes du sang du Christ sur le conseil d'une sorcière maudite.....et aussitôt, mes voeux furent comblés, je me métamorphosais en fleur, telle que vous me voyez maintenant.
* Mais, dirent les auditrices, tu as parlé d'éternel malheur, tu devrais, au contraire, être folle de joie.
* Hélas non, car dans le même instant, un énorme chagrin m'a envahi et ne m'a plus jamais quitté. Croyez-moi, je regrette mon odeur exquise dont tout le jardin profitait, je ne me rendais pas compte à quel point tout le monde en était heureux. Ma jalousie, affreux défaut, en fait a tout gâché et ma vie n'est plus que chagrin et malheur.
N'y succombez jamais car derrière elle se cache la peine la plus lourde.
Ainsi parla le fuchsia en cette nuit de pleine lune, et celle-ci fut si bouleversée par cette histoire qu'elle fit tomber des larmes de pluie le lendemain matin.