Le soleil, enfin, avait réchauffé ses rayons qu'il dardait sur la terre depuis son royaume d'azur.
Un jardin, minuscule point sur la planète, était tout en émoi.
Cette partie du jardin contenait beaucoup d'arbres, et parmi ceux-ci, un grand pin frappé jadis par un grand vent furieux qui cherchait à l'abattre. Le grand pin avait résisté mais au prix de la perte de cet élancement droit vers le ciel dont il était si fier.
Chaque matin, à son lever, le soleil venait caresser le grand pin et le nimber d'or. Tout près de lui vivait un rosier qui, chaque jour, était plus beau que la veille.
Quand on passait près du grand pin, on entendait jacasser et rire sous cape. De qui donc se moquait-on ? Car on se moquait c'est sûr. Et qui donc osait ?
C'étaient les jeunes filles du grand pin.
Que se passait-il donc ?
J'allais vers le cèdre proche où Dame Pie faisait semblant de dormir pour mieux espionner le voisinage.
Je lui demandais d'aller se renseigner. Bonne détective, elle revint bientôt me raconter une drôle d'histoire.
Vivant en solitaire au bout d'une branche, une vieille pigne était tombée amoureuse de quatre jeunes roses.
Les jeunes pignes se moquaient d'elle :
* Tu es vieille et laide, tu n'es même plus capable de porter des pignons, faut-il que tu sois devenue folle pour penser que ces jeunes roses vont faire attention à toi et, pire, répondre à tes sentiments !
La vieille pigne haussait les épaules et laissait parler ces sottes; au prix d'un prodigieux effort, elle avait réussi à se rapprocher d'assez près pour engager la conversation avec les jeunes roses.
Car, Dame Pie s'était trompée faute d'aller voir sous la surface des choses.
En vérité, les roses, un jour, avaient interpellé la vieille pigne :
* Grand-mère du monde, lui dirent-elles, tu es la plus âgée des plantes de ce jardin, et tu vis près du ciel, tu dois en connaître des choses ! Tu ne voudrais pas nous les enseigner ?
La vieille pigne était très émue. Elle avait en elle un besoin de transmettre son savoir, mais les jeunes pignes, trop sottes, ne pensaient qu'à jouer avec le vent et les oiseaux.
La demande des jeunes roses la comblait. Elle se rapprocha donc pour leur enseigner la beauté du monde. L'or du soleil, le bleu du ciel, la pâleur d'opaline de la lune, l'océan vert et bleu qui mugit sourdement là-bas, au-delà des grands pins.
Elle leur chanta la splendeur des roses, et la distinction cireuse et parfumée de la fleur de magnolia.
* Et les humains ? dirent les roses.
Ah ! Les humains ! dit la pigne. Ce sont de fragiles créatures qui vivent au ras du sol. Ils ne savent plus que " la parole est au coeur du silence " et parlent souvent pour ne rien dire.
Ils sont dans le Kali Yuga, l'Ere sombre, et se croient devenus des dieux. Ils ont perdu le contact avec nous, les plantes, dont l'origine divine nous donne le pouvoir de les guérir de tant de maux. Mais ils ont perdu le discernement, et nous pleurons de ne plus être reconnues.
Ils croient que les parchemins universitaires sont suffisants, mais ils ont perdu la dimension sacrée de leur humanité.
Ils ne savent plus d'où vient leur souffle de vie, et dans leur fol orgueil, ils ne savent plus, hormis quelques poètes anciens, que " la vie est comme un incendie.Flammes que le passant oublie, cendres que le vent disperse. Un homme a vécu ".
Ainsi parlait la vieille pigne, et les jeunes roses l'écoutaient avec avidité, sans savoir qu'elles représentaient l'espoir que l'antique sagesse, à nouveau, vienne habiter le monde.