" Vite, réveilles-toi, dit Gautama à la grive, les deux fous sont prêts à refaire l' expérience, mais je crains qu' ils ne fassent une grosse sottise ".
" Pourquoi dis-tu ça ? " dit la grive, sentant enfler la vaguelette d' inquiétude qui était tapie en elle.
" Je t'explique, dit Gautama : l' Oeuf Cosmique doit être séparé en deux parties avec beaucoup de soin; la partie supérieure forme le Ciel et la partie inférieure, la Terre. mais, regarde comment agissent ces deux fous, n' importe comment........"
A peine eut' il dit cela, que le ciel s' embrasa.
En même temps, on entendit les sifflements de mille serpents en colère. C' étaient tous les vents qui tourbillonnaient, chacun dans un sens différent.
Puis, la Terre trembla, et des immeubles s' écroulèrent, dans un épouvantable fracas?
Les deux fous avaient déchaîné la folie et le chaos. La désolation s' étendait sur le monde. De rougeoyant, le ciel, peu à peu, devenait noir.
Humains et animaux, en proie à une terreur absolue, redevenaient sauvages.
Bouddha et la grive étaient atterrés. Les deux idiots riaient à en perdre haleine. Ils étaient en train de détruire le monde, certes imparfait, mais dont on avait l' habitude, pour ce monde terrifiant de noirceur et qu' ils ne maîtrisaient pas.
L' Homme était en train de devenir un loup pour l' Homme, et les animaux s' entre-dévoraient.
" Mais, ne peut-on donc rien faire ? " gémit la grive.
" Laisse-moi réfléchir, dit Bouddha, peut-être y a-t'il un moyen de contrer ce funeste résultat ".
Il fallait faire vite; la noirceur s' étendait à une vitesse effrayante, mangeant, non seulement les couleurs, mais aussi toutes les symboliques et les beautés de l' Âme du Monde. Bientôt, tout allait s' éteindre.
C' est alors que Gautama, perdant sa légendaire impassibilité, sauta en l' air en s' écriant : " J' ai trouvé ! ".
" Quoi ? Quoi ? Dis vite ! " dit la grive trépignant presque sur place.
" Eh bien, voilà, dit Bouddha, en fait, tout dépend de toi ".
" De moi !!! Mais je ne suis qu' un oiseau de modèle primitif, c' est toi-même qui l' as dis ".
" Justement. Il faut rétablir l' amitié dans le monde,...."
" L' amour ", interrompit la grive.
" Non, j' ai bien dit l' amitié; l' amour est trop fragile et demande beaucoup d' entretien; pour l' amitié, une goutte de rosée suffit pour lui assurer l' Eternité. Mais, pour la retrouver et la remettre dans le monde, tu dois aller chercher la fleur bleue du souvenir ".
" D' accord ", dit la grive dont l' inquiétude était proportionnelle à l' urgence de la situation. " Où est-elle ? ".
" Dans les Montagnes Bleues de la Terre du Milieu " dit Bouddha.
" ????????? ". La grive resta bec bé.
"Allons, dépêche-toi, dit Gautama avec impatience, ne vois-tu donc pas que bientôt il sera trop tard ? "
La grive partit à tire d' ailes, l' esprit tendu vers les Montagnes Bleues, priant ardemment pour être guidée et arriver vite.
Elle vola longtemps, et, tout à coup, devant ses yeux éblouis......
En rase-motte, et à toute allure, elle les survola, regrettant de ne pas avoir l' oeil de l' aigle, mais......qu' était donc cette petite lueur qui semblait lui faire signe ? Elle s' en approcha et vit avec bonheur que c' était la fleur bleue du souvenir.
" Cueille-moi vite, et emporte-moi " dit la fleur.
Et la grive reprit son envol. A bout de souffle, elle arriva enfin aux pieds de Bouddha et y déposa son précieux fardeau.
Bouddha prit délicatement la fleur, souffla trois fois dessus en échangeant avec elle des paroles sibyllines, et............le miracle s' accomplit.
Une lueur bleue déchira le noir du ciel, et commença à grandir, grandir, jusqu' à bientôt le recouvrir presque en entier.
Les vents cessèrent de tourbillonner, les immeubles cessèrent de s' effondrer et la Terre de trembler. Les animaux s' apaisèrent, et le sourire refleurit sur les lèvres des Hommes.
" Bien, dit la fleur, je peux maintenant rentrer chez moi, mais.....ne m' oubliez plus ! ". Et elle partit, faisant un dernier adieu qui ralluma un grand soleil dans le ciel.
La grosse bêtise des deux fous était réparée. Mais, au fait, vous avais-je dit leurs noms ? Ils se nomment Tohu et Bohu.
" Mais....j' y pense....dit la grive, en bon oiseau primitif, que font ces deux fous pendant que l' on fête le retour de l' amitié ? "
" C' est vrai ça ! " dit Bouddha, en remettant son sonotone pour écouter ce que disaient les deux fauteurs de troubles, qu' il imaginait bien marris de leur échec.
La grive le vit pâlir soudain, et vaciller sur ses jambes.
" Quoi ? Quoi ? Que font-ils ? " dit-elle, sentant le froid de la peur surgir à nouveau au fond de son âme.
" Ah ! Quel malheur ! s' exclama Bouddha, ils sont partis en expédition vers les Montagnes Bleues, pour arracher la fleur du souvenir, et l' empêcher d' intervenir à nouveau lors de leur prochain essai. Quand à toi, ma pauvre amie......" Bouddha se tut, la voix étranglée par l' émotion.
" Quoi moi !!! Dis-moi Bouddha, que me réservent-ils ? Parle enfin ! ".
" Ils ont mis ta tête à prix pour te transformer en pâté ".
A ces mots, la pauvre grive s' évanouit, tout en pensant que Tohu et Bohu, ne comprenant rien à l' amitié, il était urgent de se débarrasser d' eux de manière radicale.
Il en allait de sa vie, quand même !