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Dans la journée, tout semble normal et tranquille, les voiliers se promènent dans la rade formée par la large courbe du fleuve, en plein centre de la ville, leurs voiles et leurs coques colorées se faufilent entre ciel plombé et eau d' argent liquide.
On entend des mots et des rires rebondir sur les vaguelettes qu' un vent léger fait frissonner. Tout est calme, rassurant et naturel.
La soirée s' avance doucement vers un crépuscule, que le ciel, lavé par le vent de terre, nous promet paré des teintes les plus douces. Les bateaux sont venus sagement accoster pour la nuit.
Elle tombe, et estompe les lignes familières.
Déjà, le monde change, se brouille à nos yeux, des ombres fantomatiques, surgies de nulle part, semblent prendre possession du fleuve.
La nuit est complètement tombée; il n' y a plus un souffle de vent. L' air est tiède, et pourtant, une sorte de frisson nous fait tressaillir. Quelle force étrange nous retient au bord de ce fleuve ? Nos yeux, soudain, s' écarquillent, un vague effroi nous envahit; sous le ciel noir, la Garonne est devenue un fleuve de sang. Un bateau approche, et des voix gémissantes s' élèvent, venant de lui.
C' est un vaisseau fantôme. Une sorte de terreur indicible nous accable. Mais oui, c' est le vaisseau qui, infatigablement, transporte l' âme des morts vers les rives de ténèbres d' îles inconnues. Des histoires de bateaux fantômes me reviennent en mémoire, et, bien sûr, le plus célèbre d' entre eux : le Hollandais volant, immortalisé par Richard Wagner. Celui-ci aurait été vu par de nombreux témoins, et, parmi eux, le duc d' York, futur roi George VI d' Angleterre.
Mais n' est-ce pas un autre vaisseau que je vois surgir de cette nuit, devenue si opaque, qu' elle semble avaler les lumières.
Que font donc ici ces vaisseaux ? Les Bretons nous racontent qu' ils hantent leurs rivages. Quelle malédiction les envoient dans nos eaux ?
Est-ce le Naglafar scandinave, construit avec les ongles des morts et barré par le géant Hrym ?
Il ne faut surtout pas tenter de suivre ces bateaux, car, l' imprudent trop curieux serait condamné à les accompagner jusqu' à la fin des temps.
Soudain, une brusque trouée dans cette nuit d' encre, nous permet d' apercevoir un bateau; mais oui, s' estimant protégés par l' obscurité, ses occupants suivent les vaisseaux fantômes. Les malheureux ! Ils ne connaissent donc pas les vieilles légendes !
Bien à l' abri sur le quai, osant à peine respirer pour ne pas attirer l' attention, nous nous demandons avec angoisse, ce qui va arriver à ce petit voilier trop téméraire. Hélas pour lui, nous n' attendons pas longtemps, il s' est comme embrasé tout à coup, coque, voile et cordages en fusion, il a soudain disparu, sans doute aspiré par le gros vaisseau et condamné à une éternité d' errances.
La nuit, enfin se déchire, et fait place à une aube blanche, aveuglante et surnaturelle. Eblouis et abasourdis, nous voyons le vaisseau fantôme se déliter rapidement et disparaître.
Les nuits du Port de la Lune sont bien mystérieuses, d' étranges bateaux y circulent, silhouettes effrayantes
que nul mortel ne devrait voir.