Lors de ma vie marocaine, nous avions l'habitude d'aller passer, au moment de Pâques, un week-end prolongé dans une petite île du lac de Bin el Ouidane. Elle est située dans le haut-lac, près de l'embouchure de la rivière des Esclaves.
C'est vraiment une île minuscule. Nous partions à quatre, avec un couple ami. Il n'y avait rien, et, bien sûr, nous campions. Le décor était fantastique; la beauté sauvage à l' état pur. Nous étions à huit cents mètres d'altitude, dans les premiers contreforts du Haut Atlas. (Malheureusement, je n'ai retrouvé qu'une diapo potable).
Nous quittions Casa en début d'après-midi pour Beni Mellal, où nous faisions étape à l' hôtel Chems. Je sens encore l'odeur des orangers en fleurs à mesure que nous approchions de cette ville. L'hôtel lui-même était au milieu des orangers, sur la route de Marrakech. Il parait qu'il y a maintenant un autre hôtel Chems, situé au bord du lac, mais " de mon temps " les rives du lac étaient désertes et sauvages.
Le lendemain matin, nous disions au-revoir à la civilisation pour quelques jours. Nous prenions la direction du village de Bin el Ouidane, mais nous n'allions pas jusqu'au bout, on s'arrêtait à Aït Haliouane, au bord du lac, où l'on gonflait le canot pneumatique. Un jour, où je regardais mon ami en train de procéder au gonflage, un vieux Marocain, surgi de nulle part, l'a invectivé :
* Alors elle, elle ne fait rien ! a t' il dit en me regardant d' un air peu amène. Si tu fais comme ça elle va devenir insupportable et se croira tout permis, fais-lui faire ça.
* Dis-donc, de quoi tu te mêles, ai-je dis ulcérée.
* Tu vois, reprit' il, qu'est-ce que je te disais ! Elle parle trop ta femme, tu ne l'as pas bien dressée. Mets-lui une gifle et fais-la taire.
* Non, mais, fiche le camp espèce de vieux fou ! Et toi, tu rigoles, ma parole, tu meurs d'envie de l'écouter.
Et tout ça a fini dans une crise de rire, sauf le vieux qui est parti dégoûté de la faiblesse du Français.
Marc et Aline, les deux amis, avaient déjà embarqué à bord de leur canot et étaient arrivés sur l'île. Nous n'avons pas tardé à les rejoindre.
Et nous restions là, dans un isolement total pendant quatre ou cinq jours. Nous emportions quelques légumes; Marc pêchait avec succès, le lac était généreux. En bonne fille de l'océan,je n'aime pas trop les poissons d'eau douce, mais bon, je n'allais pas faire la fine bouche.
J'adorais aller à Bin el Ouidane, et ne me lassais pas de ces montagnes d'ocre doré qui nous entouraient, sous un ciel qui restait inexorablement bleu dans la journée, et nous régalait d'un foisonnement d'étoiles dès que la nuit se déployait sur nos têtes.
Il parait que maintenant le lac a perdu de son aspect sauvage, des hôtels et des équipements pour touristes l'ont envahi.
Je n'y retournerai pas.